Monday 17 September 2012

Découverte

Les yeux fermés, la guitare dans mes bras, mes doigts dansant sur les cordes en nylon, je me laisse rêver. Ce morceau se joue tout seul, pourtant il est puissant : les notes tombent en gouttes sur mes oreilles, traçant leur chemin doré au fil de mes veines. Du miel en musique.

Je suis assise au pied d'un arbre, dans l'ombre verte des feuilles, là où l'herbe est douce. L'air sent la verdure, la poussière et cette odeur délicate que dégagent les platanes en septembre. Une classe d'enfants fait le tour du parc en courant, et quelques étudiants discutent de la rentrée pas loin, mais pour l'instant je suis seule, et je chéris cet instant.

Cette guitare est tellement vieille que le vernis commence à partir par endroits, et à ces endroits, le bois est tellement usé qu'il est devenu lisse et doux. Elle appartenait à mon père lorsqu'il était ado. Pendant très longtemps elle a été oubliée au fond d'un grenier, avant que je sois assez grande pour vouloir jouer d'un instrument. Aussi petite que j'étais, je me souviens encore du son qu'elle faisait avec ses vieilles cordes désaccordées, comme si elle ne voulait pas qu'on la réveille.

"Au contraire," disait mon père, pendant qu'il remplaçait les cordes, "elle m'engueule de l'avoir laissée seule aussi longtemps."

La musique s'arrête et j'ouvre les yeux. Il n'y a eu aucun bruit, pourtant le regard qui se posait sur moi était si intense que ça m'a réveillée. En face de moi, un enfant aux yeux noirs se tient debout, figé. On dirait un lapin devant des phares de voiture.

"Salut," dis-je.

Il ne répond pas, ne bouge même pas. 

Je le fixe encore quelques secondes, puis je recommence à jouer, les yeux sur mes mains. Du coin de l'oeil je vois ses pieds, nus dans l'herbe. Au bout d'un instant je les vois tourner, comme pour s'en aller, mais il hésite.

Je continue encore quelques minutes en l'observant, puis je m'arrête et je le regarde de nouveau. De nouveau il se fige, mais il a l'air moins pétrifié qu'avant.

"Tu veux essayer?" Je lui souris.

La peur quitte ses yeux qui sont désormais envahis de curiosité, le genre de curiosité dévorante qui n'attend que de devenir une passion. Il fait un pas vers moi.

"Abel !" Une voix d'homme, impatient, fatigué. Le petit tourne la tête, puis me regarde, l'air torturé. "Abel ! Viens là ! On rentre." L'homme tient une petite fille sur ses épaules d'une main et une paire de sandales dans l'autre. Un ado traîne derrière.

Le petit hésite encore. Il me montre du doigt.

"On a pas le temps, allez viens ! Dépêche-toi !" Le papa tourne le dos et commence à marcher. L'ado le suit.

"Je serais encore là demain," je lui dis. "Tu pourras essayer la guitare à ce moment-là."

Le soulagement remplit ses yeux énormes, et un petit sourire timide illumine son visage avant qu'il se tourne pour courir après son père.

Et moi je me remets à jouer, me demandant ce dans quoi je me suis engagée.

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