Tuesday 18 December 2012

Exercice du jour : la folie meutrière d'un chewing gum à la menthe.

Nanoyo m'a donné cet "exercice du jour" : écrire un texte sur la folie, quelle qu'elle soit.

Puis il a changé d'avis en me disant "Non, mieux : la vie et la mort d'un chewing gum à la menthe".

Je me suis dit, pourquoi pas les deux?

Imagine, t'es né pour mourir. Born To Die. Je sais plus qui l'a dit, mais ça a l'air plus cool en anglais. Imagine, t'es même pas né, mais créé par une machine, à partir d'élastomères, d'aspartame et d'arômes artificiels. Créé pour servir l'humanité, cette espèce toute puissante, ce parasite de la Terre, qui arrache ce qu'elle veut à Mère Nature et en fait des immondices telles que moi.

Heureusement que les chewing gums à la menthe n'ont aucune conscience. Forcément, si un jour un de nos ingrédients était vivant, ça fait longtemps qu'il est mort. Mais imaginons que tu es un chewing gum à la menthe, doté, par je ne sais quel miracle d'un dieu farceur, d'une intelligence, d'une conscience de soi, peut-être même d'une âme.

Déjà, quelle vie pourrie. Tu viens au monde au milieu du bruit des machines, et on te ménage pas. Tu te fais trimballer dans tous les sens pour enfin finir dans une petite boîte en carton, entouré de camarades identiques, au destin identique. Pendant le transport, t'es seul dans une boîte de chewing gums inertes. Alors pour éviter de craquer complètement, tu leur donnes des noms, des caractères. Ca devient ta famille. Le temps que tu sois transporté, mis en rayon et vendu, t'as créé ta propre société à toi tout seul.

La vente : 2€ si t'as de la chance. Toi et tes neuf petits camarades, vous valez 2€, tous ensemble. Et les clients trouvent le moyen de se plaindre de l'inflation.

On va dire que c'est un homme qui t'achète. La trentaine, un métier stressant, cette manie d'avoir toujours un chewing gum dans la bouche. Aujourd'hui il a oublié son paquet de cent à la maison, alors il se contente de toi et tes compères pour la journée.

Il secoue la boîte, parce qu'il aime le bruit que vous faites tous ensemble contre le carton. Il l'ouvre. La gravité vous tire tous vers le bas, mais ce n'est pas toi qui tombe. C'en est un autre, un frère que t'aimais bien en plus. C'est pas comme si vous serez réunis dans l'estomac - un chewing gum, c'est pas digeste. On le crache après. Tu n'as même pas cette utilité là.

Un par un, il sort tes camarades, les machouille tout en pestant contre la circulation et la radio. Un par un, il les crache, dans un mouchoir, un morceau de papier, par la fenêtre pour se faire écraser sous les roues des voitures. Noircis, ceux-là finissent par faire partie du bitume.

Tu es le dernier. Tu es seul, il t'a tout pris. Tu attends que vienne ton tour, mais au lieu de ça il gare la voiture, en sort. Tu entends des cris d'enfants, une voix de femme, un claquement de porte, le silence. La nuit tombe. Tu es seul. Tu ne peux même plus t'inventer des amis. Tu ne peux pas sortir de la boîte pour en trouver d'autres. Tu es paralysé. Tout ce qu'il te reste, ce sont des pensées.

Alors tu penses à cet homme, à son espèce et à leur place sur cette Terre. Tu n'en trouves pas, et tu prends une décision. Tu sais que ça ne fera pas une grande différence, à l'échelle du monde, mais au moins tu auras participé à le rendre meilleur.

Le lendemain, il ouvre la voiture avant que le soleil ne soit levé. Tu t'attends à ce qu'il ouvre la boîte, mais il en est encore au café, qu'il pose à coté de toi. Quelques gouttes tombent sur le carton, mais ne t'atteignent pas. Il termine son café. Tu sens la voiture qui accélère, vous êtes sur l'autoroute, dépassant les camions qui t'avaient emmené au marchand de journaux pour être vendu. Tu frémis d'impatience.

Peut-être qu'il le sent. En tout cas, il allume la radio et ouvre la boîte. Il sait qu'il ne reste que toi, alors il te verse directement dans sa bouche. Une odeur de café et de clope t'enveloppe. Sa langue, cet énorme morceau de chair, te conduit vers les molaires, mais tu as un plan, et la colère t'a donné des forces. Mû par ta seule volonté, tu te projettes en arrière, vers la gorge, tu esquives l'épiglotte, et par miracle tu te retrouves exactement là où tu veux : en travers de la trachée, où tu te loges fermement.

Un spasme, une tentative de toux, mais tu t'accroches. Tu n'auras qu'une seule opportunité, il ne faut pas la gaspiller. Par chance, tu l'étouffes à un moment critique : doublant un camion, il perd le contrôle de la voiture, qui fonce à 140 km l'heure, accrochant d'autres voitures, qui quittent la Terre-Mère pour la retrouver en état de fertilisant. Le camion fait une tête à queue, c'est le carambolage, le nombre de victimes grimpe à la vitesse de la lumière, jusqu'à la grande finale, où la voiture s'écrase contre un muret, l'homme, qui avait oublié sa ceinture, est projeté à dix mètres à travers la vitre. Lorsqu'il attérit, le choc te projette hors de sa bouche, couvert de salive, ta coque en sucre à moitié fondue, et tu es bientôt écrasé sous le pied des pompiers venus lui porter un secours inutile.

Ton âme quitte ce corps minable, et tu surveilles de haut ton oeuvre. Vingt-sept victimes, dont une douzaine de morts. Tout autant d'humains qui ne pollueront plus, qui n'arracheront plus à notre Mère ses ressources, pour en faire des immondices telles que moi.

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